Combat de l'amour et de la faim retrace ainsi, dans une Amérique aussi fantasmée que crédible, le parcours erratique d'un jeune homme pauvre qui devient criminel sans s'en rendre compte. Dans le sillage d'une mère en quête de rédemption sociale et d'un bon mariage, il traverse sans trop souffrir une enfance pauvre en Louisiane. Chassé du foyer enfin respectable que sa mère a bâti auprès d'un pasteur, il remonte le Mississippi - à pied et en train. Cette remontée du fleuve est sa sortie de l'enfance.
Marie apprend à survivre auprès des femmes que le destin met sur sa route : il les aime mais il les vole et les quitte. On le dénonce, on le recherche, on l'enferme. Ce roman est sa défense - une défense par le récit, à la première personne. Un roman de (dé)formation.
Car les illusions révélées du monde adulte détricotent ici l'enfance et ses certitudes. Les vingt-six années d'existence de Marie se décomposent en deux périodes contradictoires de treize ans. D'un côté, l'enfance, la relation fusionnelle entre un petit garçon et sa mère, les vérités de l'amour. De l'autre, la trahison, le battement irrégulier des rencontres, les mensonges de la faim.
Violemment sensuel, le roman de Stéphanie Hochet trouve sa respiration dans une alternance sexuelle de pleins et de vides, de fusions et de séparations. Au corps passif du jeune garçon bien nourri par sa mère succède le corps actif de l'adolescent affamé. Obsédé par le manque, Marie cherche à remplir son existence d'argent, de nourriture et de femmes. En fait, il devient sa mère - en reprenant sa quête.
Les femmes de Marie le comblent momentanément, et au sens propre. Elles sont l'apprentissage de son combat pour lui-même dans la fuite de l'autre. Elles sont les étapes d'un désir qui est celui d'un retour à la matrice, à la chaleur sans nom du ventre maternel, car "aucune femme ne me veut autant que ma mère". Sur le chemin de ces limbes sans existence et sans espace (comme la prison où il finit), les femmes de Marie sont un chapelet qu'on égraine : April, May, June (soit "avril", "mai", "juin"), comme le temps qui passe.
"UN PÉNITENCIER EN PLUS GRAND" Dans ce roman romanesque, aussi intense que le désir et la faim, Stéphanie Hochet rend un hommage ambigu à la fiction. De ville en ville, Marie se réinvente une nouvelle vie. Il dissimule, il devient hypocrite, il réécrit son roman personnel.
Mais sur cette terre mythique de la frontière repoussée et de l'éternel renouveau, le passé ressurgit toujours. Ici, sous la forme d'un avis de recherche placardé dans le Wyoming. "C'est un peu ça, l'illusion de l'Amérique, dit le narrateur, elle est si vaste que l'on croit tout recommencer ailleurs ; en vérité, ce n'est qu'un pénitencier en plus grand : on est toujours rattrapé par ses erreurs."
Le passage de l'enfance à l'âge adulte est une tragédie. Le rêve américain est une cage dorée. Stéphanie Hochet continue l'expérience d'un théâtre de la cruauté déjà tentée dans Je ne connais pas ma force (Fayard, 2007), à qui, à l'évidence, il manquait l'Amérique. C'est beau comme un écorché, et c'est très bien ainsi.
Nils C. Ahl